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Carnet N° 6 (1938 – 1950)

Carnet N° 6 (1938 – 1950)


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Pic de Montaigu
(27 juin 1938)

Avec le docteur Gandy. Coucher à Campan, à l’Hôtellerie d’Arizes. Montée par Magenta (vallée de Lesponne), à 6h30. Erreur au ruisseau du Cérétou. Au lieu de le traverser, nous remontons rive droite. Perte de temps d’une heure. On revient au Cérétou, que l’on traverse, et nous remontons dès lors le ruisseau principal Rencontre d’un berger auquel le docteur achète six allumettes !
Traversée du Népoutre, longue et raide vers le col de Tos où nous arrivons enfin. Ensuite, grimpée à flanc et sur la crête, vers le laquet du Montaigu. Le docteur, fatigué et souffrant, me conseille de monter seul au pic. (Vu deux vautours, posés). Je m’élève sur la crête, j’arrive à la Pène Malo et, ayant cassé la croûte là, je laisse mon sac et entreprends l’escalade de l’arête raide du pic où j’arrive au sommet à midi quinze.
Vue dégagée sur la chaîne ; nuages sur la plaine et à l’est. (On voit quand même Tarbes et le lac de Lourdes.) Je redescends à la Pène Malo et je dégringole sur le laquet, en toboggan, debout sur un névé.
Je rejoins le docteur Gandy qui fait chauffer son déjeuner au déversoir souterrain du lac. Déjeuner et longue halte. Puis on redescend lentement. Avant le pâturage du Hourc, nous nous baignons dans le Magenta ou ruisseau de Tos. À 17 heures, nous nous rencontrons sur la route de Lesponne avec Mme Gandy qui venait nous chercher en auto.
(Note de Gilberte Casteret : Le 6 février 1938, notre petite sœur Raymonde est venue au monde. C’est ce qui explique les absences de notre mère aux côtés de N.C. Elle l’accompagnera encore, de temps en temps, mais plus aussi souvent qu’avant.)

Béout
(07 juin 1939)

Avec Élisabeth, nous faisons le tour du massif du Béout en auto, pour nous faire une idée de ses abords. Puis, ascension du Béout en téléphérique et visite au gouffre et au tunnel qui atteint aujourd’hui 50 mètres de long (sur 90 qu’il aura au total). Dans le gouffre on a aménagé des passages et des escaliers passerelles.
La résurgence de Peyramale reçoit aussi notre visite. Elle a considérablement baissé depuis cet hiver. La digue de retenue du bassin est à sec, ce qui nous permet d’y circuler et de jeter un coup d’œil sur la résurgence, qui paraît pénétrable. Mais l’obscurité ne permet pas de voir au-delà de 2 à 3 mètres. Il y aura lieu de tenter une reconnaissance en scaphandre. (À une date ultérieure, je suis entré en scaphandre là, sur quelques mètres seulement. Il y a siphon très arrosé. Schistes.)

Ascension de la Rhune
(Juillet 1939)

En auto, au col de Saint-Ignace, avec Élisabeth, Raoul et Maud (plus Carnéra) et ascension de la Rhune par la voie de la crémaillère. Au sommet, beaucoup de nuages, mais belles trouées sur le golfe de Gascogne.
L’aigle impérial en pierre (commémoration de l’ascension de l’impératrice Eugénie) a été mutilé.

Ascension du pic de Boum (3006 mètres)
et lac d’Espingo (2000 mètres)
(16 et 19 août 1939)

Avec Martial, montée de la cascade d’Enfer au château d’eau de la Tusse de Prat Long où nous dînons et couchons à 2500 mètres d’altitude. Le lendemain, ascension du Boum et descente par les lacs Bleu et Vert.
Toute la famille (y compris Colomba, Raymonde dans le sac de montagne et Carnéra). Ascension au refuge d’Espingo, où nous dînons avec Andrée Artigue, mesdemoiselles Bagnuls et Loubet. C’est le 19 août, mon anniversaire. Nous couchons au refuge et redescendons le lendemain matin.
Pour ces vacances 1939, nous avons passé dix-sept jours sous la tente à Erromardie (NDLR : à Saint-Jean-de-Luz) et quinze jours près de la grotte Berdat, à Saint-Mamet, près de Luchon.

1er septembre 1939

Coucher de soleil sur le Comminges et les Pyrénées. Paix sur la campagne d’un beau soir d’été. Mais, depuis quelques heures, on sait que la Pologne est attaquée. Demain, 2 septembre, sera le premier jour de la mobilisation générale. Tout à l’heure, en allant à Saint-Gaudens, j’ai vu des fantassins en tenue de campagne dans le champ de manœuvres où les tranchées de 1914 ne sont pas complètement nivelées... Il y a vingt-cinq ans, j’ai entendu le tocsin à Saint-Martory et, quelques mois après, j’étais soldat de la Grande Guerre. Dans quelques jours, je partirai vers l’inconnu de la présente guerre. J’arrête ici ce sixième carnet de mes explorations souterraines.
Sursum corda.
La mobilisation s’est effectuée sans que je sois rappelé. J’ai demandé à m’engager. À la place militaire on m’a répondu que mon engagement volontaire de 1915 et le fait que je suis père de quatre enfants me relèguent dans la dernière classe de la deuxième réserve et, qu’étant mobilisable, je n’ai pas le droit de m’engager.
Alors, peu à peu, je suis revenu à mes chères grottes...
(Note de Gilberte Casteret : Je me souviens de ce jour où Papa est parti par le train à Toulouse, pour aller s’engager. Je n’avais que 9 ans à l’époque et je ne comprenais pas grand-chose aux évènements… Mais je n’étais pas sourde et je comprenais bien que beaucoup de choses graves se passaient. Et durant toute cette journée j’ai ressenti l’angoisse de ma mère, mais surtout, le soir, quand il est revenu et qu’il lui a dit « ils n’ont pas voulu de moi », j’ai senti la joie et le soulagement qu’elle ne pouvait pas dissimuler...)

Recherche de puits au-dessus de Barbazan
(Décembre 1939)

À deux reprises (seul, puis avec Élisabeth et Andrée Artigue), je vais au plateau de Gès et au-delà, à la recherche de puits. Je ne vois que quelques dolines. Un puits existe pourtant au Moumil, et il y en a du côté de Téridé. Je reviendrai dans ces parages.
(Note de Gilberte Casteret : Maman, de nouveau enceinte, faisait de son mieux pour l’épauler. Mais cela devait être dur.)

Six mai mille neuf cent quarante
Décès d’Élisabeth


(Note de Gilberte Casteret : Ma mère meurt treize jours après la naissance de Marie, d’une fièvre puerpérale, hélas impossible à vaincre à cette époque. N.C. fait front. Il veille à tout et paraît serein. Mais quel déchirement a dû être le sien !)

Falaises du pic Thénaout
Puits et grottes
(25 Juillet 1940)

Depuis bien longtemps, j’avais au programme, avec Élisabeth, le pic Thénaout, au profil de Napoléon, que l’on voit si bien de Mourlon. Aujourd’hui, je réalise, seul... ce projet. Parti à bicyclette de Mourlon, à 5 heures du matin, par temps gris et tiède, je me fais remorquer jusqu’à Montréjeau par un camion-citerne de vin (Parlange, Carcassonne). Le chemin de la vallée de Nistos est très abîmé, raviné par les pluies. J’arrive à 7h15 au dernier hameau de Haut-Nistos, Jouannot, où je laisse la bicyclette, et, à 7h20, j’entreprends l’ascension vers le Thénaout. À vingt minutes, je constate que le ruisseau de ce vallon se perd dans son lit (je ne vois pas la perte). À 8h35, ayant remonté des prairies escarpées et ayant vu au passage une falaise calcaire avec fenêtre naturelle, j’atteins la dernière maison d’où je découvre le Thénaout, loin et de l’autre côté de la vallée de Castenné que j’aurais dû prendre au lieu de l’itinéraire compliqué depuis Jouannot.
J’hésite devant plusieurs sentiers et, l’instinct aidant, j’ai la bonne fortune de choisir le bon. À dix minutes de la dernière maison, je traverse plusieurs bras de ruisseaux assez abondants, coulant sur des grès rouges et des poudingues. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une résurgence en delta ou d’une source ; mais je n’ai pas le temps de remonter à l’origine. Je suis en forêt de hêtres et y resterai jusqu’au col d’Estivère où la forêt se panache de sapins ; col herbeux où j’arrive à 9h25 (deux heures depuis Jouannot, halte et erreurs d’itinéraires comprises). Je m’avance dans la prairie jusqu’à dominer la vallée d’Aure et je casse la croûte abrité sous mon imperméable, car le vent d’est est frais et charrie des écharpes de nuages qui font « haute montagne ». Je ne suis, hélas, qu’à 1221 mètres. La vue est limitée mais suggestive. Montaigu, Quatre Termes, Néouvielle, Campbielh, Arbizon. La majesté du panorama, cette solitude, me frappent une fois de plus, et j’évoque tant et tant de souvenirs de courses en montagne avec elle ; le bon et heureux temps, trop vite passé, et qui ne reviendra jamais plus. (Note de Gilberte Casteret : Je voudrais dire ici que le soir, quand N.C. est rentré de cette longue journée, j’ai eu l’impression qu’il n’était plus tout à fait le même. Je n’avais même pas encore 10 ans mais, sans comprendre, naturellement, ce qu’il avait de différent, j’ai senti qu’il avait quelque chose d’inhabituel en lui.)
À 9h50, je quitte le col et marche en direction de la falaise, invisible d’ici. Je descends un peu trop à l’est. Je rectifie et, à 10h10, je suis juché sur un piton de roche noire, tendre, qui fait le profil de la moustache de Napoléon (qui n’en avait pas !) La falaise est là, à quelques mètres, et s’élève rigoureusement verticale, en partie masquée, par moments, par le brouillard. D’ici, on découvre un peu plus de panorama, le Pic du Midi, entre autres.
Je suis la falaise sur le versant d’Aure, sur 200 mètres environ, sans rien remarquer. Puis je passe sur le versant Nistos où la descente est beaucoup plus raide. À 70 mètres de la ligne de partage des eaux, je découvre un orifice exigu où je jette quelques cailloux qui dégringolent. Pour me faufiler dans ce trou, je dois enlever mon blouson et forcer au niveau de la poitrine. Je suis dans un petit réduit encombré de feuilles de hêtres et de cailloux. J’allume une bougie et lampe électrique et je jette quelques grosses pierres ; elles tombent tantôt sur un sol terreux, tantôt dans une flaque d’eau. La profondeur semble être de l’ordre de 15 à 25 mètres. Est-ce le fond ? Est-ce un redan ? Est-ce une grotte ? Revenu dehors, je continue à suivre le pied de la falaise qui est très belle avec son cadre de sous-bois. J’atteins un ressaut en profondeur, au sommet duquel je déjeune à 11h50 (salade de betteraves et œufs durs, riz à la mayonnaise). Cran de descente, et j’arrive à un vaste surplomb de la falaise qui sert d’abri aux moutons, énorme chaos attestant des écroulements de voûtes, jadis plus surplombantes, peut-être même ancienne caverne effondrée. On est au contact de deux roches et une diaclase directrice de l’ancienne supposée caverne est visible.
Je descends toujours et, sous cette splendide forêt, j’atteins la fin de la falaise. Ici, lits presqu’à sec de ruisseaux et remontée vers l’est. Est-ce la courade de Tèche ? Belles échappées sur le Thénaout. Je domine de haut la vallée de Castenné. Un sentier longeant l’escarpement me conduit, tantôt sous-bois (très beaux jeunes hêtres), tantôt en lisière, en direction de Haut-Nistos. À la fin, je quitte la hauteur et, par un sentier de vaches, je rejoins les prairies et les premières granges de Castenné. Je recoupe ladite vallée, car je dois reprendre mon vélo en amont. Vu une doline et un effondrement terreux (avec barrière) ; maisons abandonnées. Descente raide sous bois jusqu’à la route de la vallée et, par une chaleur torride (toujours nu-tête depuis ce matin), je vais chercher ma bicyclette. Il est 14h25. En roue libre, je dévale le Nistos (sol graveleux, sablonneux, exécrable). À Aventignan, je fais halte chez Suffran (tilleul) et, à 17 heures, j’arrive à Mourlon. (Soixante-quatre kilomètres de vélo, ascension : douze heures d’exercice sans presque d’arrêt, et seul.)

Recherche d’une grotte à Seilhan
(1er septembre 1940)

À bicyclette, avec Édouard de Crozefon et Raoul, nous allons à Seilhan, chez M. Touzet. Nous cherchons une petite grotte dans la colline calcaire et boisée du Pouy, sans succès. Parvenus au sommet, nous jouissons d’un très beau panorama circulaire. Revenus chez M. Touzet, son fils nous apprend que la grotte est ailleurs ! Et qu’il connaît un autre trou où il nous conduira à l’occasion.

Reconnaissance au-dessus de la grotte d’Aliou
Sommet de Peyregude (1190 mètres)
(22 septembre 1940)

Seul, à Aliou, en moto. Je vais à la résurgence où le niveau de la rivière a baissé de 19 centimètres depuis le 10 septembre. (Le soir, je reviens là et constate que la baisse est de 23 centimètres.)
Contournant la montagne d’Aliou par l’ouest, je repasse au gouffre obstrué où le jeune Vellos nous conduisit le 24 août. Plus haut, toujours dans le thalweg, une doline, avec abreuvoir à sec. Plus haut, clairière, écurie, effondrement-engouffrement. Je m’engage dans la forêt de Peyregude en remontant un lit rocheux fossile que je suis jusqu’à la fin de la forêt (900 mètres d’altitude) où je pénètre dans le vallon des pâturages d’Arouch : dolines, lapiaz, etc... Je déjeune à 1040 mètres, en balcon sur les vallées de Balaguer et du Lèz et face à la chaîne des Pyrénées. Ensuite, je monte au sommet du piton de Peyregude (effondrement en forêt, lapiaz au sommet) et je redescends à Aliou en franchissant la montagne d’Aliou (lapiaz très prononcé dans un bois, fourré, inextricable). J’ai vu ainsi et délimité le bassin versant de la rivière souterraine.

Gouffre Martel
Pic de Canejan et pic d’Albe
Pyramide de Serre
(12 -16 octobre 1940)

Le 11 octobre, je vais, à moto, diner et coucher chez Gattet.
12 octobre. Départ de Boussens, en auto, à 6 heures. Bocard d’Eylie à 7h30. À 8h30, départ en autochenille pour Bentaillou (M. et Mme Catala, MM. Darné, Rieu père et fils, chauffeur, Gattet et moi). Beau temps, enneigement frais (neige à partir de 1700 mètres). De Bentaillou, nous allons à Narbonne où les bennes du câble aérien nous transportent à l’étang d’Araing. Bel enneigement. Visite du barrage et déjeuner. Retour en câble à Bentaillou et visite de la Cigalère jusqu’aux 1300 mètres. La caravane redescend au Bocard en chenille tandis qu’avec Gattet nous remontons à Bentaillou où nous nous installons dans l’ancien bureau.
13 octobre (dimanche). Le matin, flânerie au piton Saint-Jean. L’après-midi, avec Gattet, nous montons au tunnel de dérivation du gouffre Martel, puis à l’orifice et à la perte du torrent d’Albe.
14 octobre. À 7 heures du matin, nous sommes à Narbonne où viennent nous rejoindre, venant d’Araing, trois porteurs : Ferrando et Gonzalez, Espagnols, et Ferré, Français. À 8h30, nous pénétrons dans le tunnel Martel avec le matériel très réduit et ultraléger de Gattet. Sans encombre, nous arrivons au balcon des 150 mètres où resteront les porteurs. Avec Gattet, nous descendons le grand puits sous des ruissellements. Déjeuner au bas du puits, puis descente jusqu’au bas du gouffre. Lit de ruisseau et laminoir que je trouve remblayé par les crues. Après un essai infructueux de désobstruction, j’abandonne. Photos et demi-tour. Remontée du grand puits et retour au jour à 16h15. (Séance de huit heures, la plus courte du genre, grâce au matériel léger et approprié et à cause de l’insuccès). Descente à Bentaillou dans le brouillard.
15 octobre. Départ à 9 heures du matin, avec casse-croûte. Remontée de tout le cirque jusqu’à la brèche du Gendarme, voisine de la crête frontière. Vue sur Araing, la plaine (Mourlon à l’œil nu), Cagire, etc... Nous gravissons la crête frontière et arrivons au pic de Canejan (Montaigu, pic du Midi.... jusqu’au Montcalm). Déjeuner sur le versant espagnol. Crête du pic d’Albe pendant que Gattet redescend au lac d’Albe. Une corniche peu sûre pour arriver au sommet du pic d’Albe. Col d’Albe. De là, je monte rapidement à la Pyramide de Serre où je trouve (dans le cairn) un billet d’Élisabeth : « Mme N.C. Seule. Beau temps, vent froid, neige fraîche. 26 octobre1933. »
Au lac d’Albe, je retrouve Gattet et nous rentrons à Bentaillou par le gouffre Martel (où nous relevons le cairn) et le ravin de la fenêtre B. Dîner et veillée habituelle avec les mineurs, à la cuisine. (Sartorio, Monti, Schaffer, Tordu, Mariano, Ministre, etc.…)
16 octobre. Le matin, promenade à Ourdouas jusqu’à la conduite forcée. L’après-midi, tour du cirque par Ardan et le Post. Descente par le câble du Post. Dîner au chalet avec M. Dourthe et Robert de Cèze (journaliste de Paris-Soir). Coucher au chalet.
17 octobre. Retour à Boussens en auto (Coste). Déjeuner à Boussens.
Retour à Saint-Gaudens à bicyclette, remorqué par Coste sur ma moto.

Cagire
(9 novembre 1940)

À moto à Juzet-d’Izaut (à 8 heures) où Gattet et Duluc viennent me rejoindre. Ascension de 8h15 à 12h45. L’enneigement commence à la cabane. Nous montons par le sentier de la Couage qui fait de longs lacets sur le versant nord de la montagne. La neige collante nous retarde un peu. Le gouffre du sommet est dégarni de neige (entièrement dégarni et, de ce fait, la corde lisse de 8 mètres que j’avais emportée se trouve beaucoup trop courte).
Déjeuner au sommet, par vent violent et froid. Vue complète et très nette, sur la chaîne et la plaine. Descente par l’arête nord-est et la clairière de Plaède. (Du sommet à Juzet : deux heures.)
(Note de Gilberte Casteret : À la fin de ce carnet qui se termine en novembre 1940, N.C. a écrit : « 20 janvier 1925- 4 septembre 1939. Première et dernière grotte d’Élisabeth. Quatorze années de collaboration et de bonheur parfaits ».)

Générest
(27 juillet 1941)

Avec Gattet et Roger Combel, nous allons à moto à Générest pour explorer un gouffre récemment ouvert dans un chemin de roule, dans le bois de Montcaup. Le vieux domestique à barbe du Plan de Poust nous y conduit avec un autre jeune faucheur. Le puits est sans intérêt et sans profondeur (-8 mètres). Visite au gouffre d’eau de Générest.
(Note de Gilberte Casteret : Depuis le décès d’Élisabeth, N.C. a continué ses recherches souterraines et ses expéditions en montagne. Mais il était bien seul. Nous, les trois aînés (Raoul, Maud et moi-même), nous étions en pension et ne parlons évidemment pas des deux « petites », Raymonde et Marie. De plus, la guerre freinait toutes facilités de déplacement. À cette époque, il se mit à écrire de plus en plus : biographie de Martel ; la Terre Ardente ; la Longue Course etc. Il faisait des sorties et des courses solitaires et on a vu qu’il s’était formé autour de lui un petit cercle d’amis, forcément restreint, chacun ayant ses occupations, qui essayaient de l’entourer. Il se mit donc en demeure d’initier ses propres enfants à la montagne. La proximité de la chaîne des Pyrénées était un atout et attirait beaucoup de jeunes (et de moins jeunes) désœuvrés et désolés par notre défaite et ses conséquences. Il initia ainsi Raoul et Maud à la haute montagne. Quant à moi, je fus classée trop jeune et trop fatigable pour suivre les « Intrépides », et je m’en trouvai fort bien...)

Crabioules et Royo
(08, 09 et 10 septembre 1941)

8 septembre. Le train nous dépose à Luchon à midi trente. À 13 heures, nous partons à bicyclette (Raoul, Maud et moi) pour les granges d’Astau où nous arrivons à 16 heures. Nous remisons nos vélos dans une grange et en route pour Espingo. Raoul porte son sac à armature avec 2 kilos de pain et son bâton de scout (mon ancien « bâton de l’ours » de 1915). Maud porte aussi son sac de montagne et 2 kilos de pain. Elle a le bâton en bambou noir de Maurice Gourdon. J’ai mon sac Tauern et le piolet d’Élisabeth.
Le 19 août 1939 (voir cette date), nous étions tous montés à Espingo (même Raymonde, âgée de 18 mois). Les enfants avaient gardé un bon souvenir de cette escapade. Aujourd’hui, nous revenons pour faire leur premier pic de 3000. Nous arrivons au lac d’Oô en une heure dix, par temps heureusement frais, mais l’étape à bicyclette et les sacs ont un peu fatigué les jeunes pyrénéistes. (Je porte le sac de Maud.) Après le lac d’Oô, la cadence est meilleure et on arrive avec entrain au refuge d’Espingo à 19 heures. Dîner avec nos provisions et coucher au dortoir avec les Frossard, Sabadio et une colonne de Compagnons de France. Nous n’avons pas eu la vue du cirque qui est noyé dans le brouillard.
9 septembre. Je me lève à 6 heures. Temps splendide. Je fais lever Maud et Raoul et, à 7 heures, nous quittons le refuge. En deux heures vingt, nous arrivons au-dessus du lac glacé du Portillon après être passé à la baraque de la C.E.I. et au déversoir, sur la traditionnelle langue de glace. Au début de l’ascension, clair de lune, puis Alpenglühn sur le Spijeoles. Lentement, mais sans longs arrêts, nous atteignons le col de Litérole à midi, après avoir vu un isard peu craintif. Déjeuner au col après avoir admiré le lac glacé de Litérole et le panorama. À midi trente-cinq, attaque des cheminées du Crabioules où j’erre passablement, ce qui décourage un peu mes élèves, justement fatigués. À 13h25, sommet du Crabioules occidental. Très beau temps, mais nuages au nord. Boite aux lettres, photos. À 14h25, nous sommes de retour au col, ayant encore manqué la bonne cheminée. Après un petit conseil de guerre, nous décidons de revenir par le col septentrional de Litérole. Marche à flanc de névés, rocailles, éboulis du Royo, en territoire espagnol. Deuxième névé, rocaille, et nous regagnons la crête frontière entre le Royo (blanc) et le petit Royo (rouge) dont nous gravissons la cime. Dégringolade du col supérieur dans une neige malheureusement molle ; nous écornons le glacier du Portillon, passons sous les escarpements ouest du Royo, en suivant la piste. Le brouillard nous surprend au moment où nous voulons franchir l’escarpement de la base du Lézat qui plonge dans le lac. Ayant manqué le passage, nous nous perchons sur des à-pics qui nous obligent à faire demi-tour et à rechercher le passage du matin, au ras de l’eau. Au déversoir, qui est encombré de glace, nous faisons une pleine eau. On se rhabille sans se sécher, dans le brouillard, et, à la boussole, je découvre le baraquement dans la brume. De là, nous marchons dans le brouillard jusqu’à Espingo, mais le sentier en belles dalles de granit est un fil d’Ariane bien commode. À 20h50 (quatorze heures de marche), nous arrivons au refuge. Cuisine, dîner, coucher. (Raoul au dortoir, Maud et moi dans une chambre.)
10 septembre. Descente à Astau en deux heures. À Luchon en roue libre (trente-quatre minutes). Visite à Mme Aurousseau, à de Gorsse, au musée. Saint-Gaudens à 17 h30, par le train.

Pic des Spijeoles (3066 mètres)
(25 - 27 septembre 1941)

25 septembre. Nous arrivons à la gare de Luchon à 17h30 et partons aussitôt à bicyclette pour les granges d’Astau où nous cassons la croûte à la source. (Nanie et Édouard de Crozefon, Colomba notre jeune bonne, Raoul et Maud). À 18h35, nous atteignons le refuge d’Espingo où nous cuisinons. Peu de monde à la salle à manger et personne au dortoir. Mauvaise nuit pour moi.
26 septembre. À 7h20, la caravane quitte le refuge, par temps clair. (La veille, nous étions arrivés sous la pluie et dans le brouillard.) Au laquet de la Coume de la Baque, nous abandonnons le sentier qui monte au port d’Oô. Gradins herbeux, cailloutis, chaos de granit. À 10h35, nous atteignons la barre granitique du lac glacé où nous déjeunons au milieu d’un panorama qui enthousiasme chacun. Le lac porte encore de nombreux glaçons. Cinq isards se montrent et traversent le glacier du Seil de la Baque. Nous atteignons le Spijeoles par les rochers de la rive gauche de son névé. Escalade amusante dans les blocs, petite cheminée avec rocher coincé. Terrain meilleur et moins penté. On atteint le piton terminal où l’escalade est amusante et, à 13 heures, nous sommes au sommet. Nuages sur la plaine et un peu partout. Boite aux lettres, cueillette de fulgurites nombreuses. (C’est la première fois que j’en vois.) À 14 heures, on quitte à regret le splendide belvédère. On rejoint le haut du névé afin de profiter des toboggans qui, malheureusement, sont ratés à cause de l’état de la neige. Parvenus en bas, je me baigne, avec Raoul, dans un laquet à 0° (où j’avais bu, avec Martial, en 1926...) Le brouillard, qui menaçait depuis longtemps, s’installe au moment où nous entreprenons la descente, au-dessous du lac. Je m’efforce de garder la bonne direction, car les à-pics de droite sont importants et dangereux. Le brouillard s’épaissit et la pluie commence ; elle nous transperce et nous accable jusqu’à la Coume dera baquo où j’ai la satisfaction de déboucher avec tout mon monde qui traîne un peu. Nous sommes transis. (Note de Gilberte Casteret : Pour qu’il le dise !)
Sur un névé de la Tusse de Montarqué, quelques blocs, dérangés par la pluie, roulent et bondissent. À 17h45, nous arrivons au refuge d’Espingo où nous sommes seuls avec Péré. Longue séance de séchage à la cheminée, cuisine, dîner. Bonne nuit.
27 septembre. À 9 heures, avec Péré, Édouard et Raoul, nous allons relever, en barque, cinq ou six traversiers sur le lac d’Espingo. Résultat : 2 kilos de truites. À 10 heures, départ. Lac d’Oô à 11h10. Granges d’Astau à 11h20. Déjeuner (avec les dernières pommes de terre en salade) ; réparation du pneu de Maud, qui a éclaté l’avant-veille, en arrivant à Astau.
En trente-cinq minutes de roue libre, nous sommes à Luchon. Café, musée. Départ du train à 16 heures. Saint-Gaudens à 17 heures. Retour à Mourlon à pied, nos vélos étant restés en souffrance à Montréjeau. Très belle excursion effectuée sans fatigue pour personne.
Baptême des 3000 pour Nanie et Colomba.

Pic du Seil de la Baque
(22 octobre 1941)

21 octobre. Saint-Gaudens - Luchon par train, avec le docteur Gandy. Déjeuner remarquable (pour les temps que nous traversons) à la pension du Casino, avenue de Belgique. Visite rapide à Sainte-Hélène (Note de Gilberte Casteret : notre pension) où je ne vois pas Maud et Gilberte qui sont en promenade.
À 14h30, départ de Luchon à bicyclette. Par température idéale, nous arrivons aux granges d’Astau où nous remisons nos vélos, enchaînés, dans le grenier d’une grange. Nous sommes arrivés ici en deux heures quinze. En deux heures trente, nous arrivons à Espingo à la lanterne, ayant rencontré en route Bertrande Péré. Au refuge, nous sommes reçus par Jourtaud avec lequel nous dînons à la cuisine. À 22 heures, au lit (nuit très étoilée), dans une des chambres.
22 octobre. Départ à 6h15. Nuit noire mais très belle, pas très froide. Nous marchons à la lanterne jusqu’au lac Saounsat où l’aube nous permet de suivre le sentier, très visible. En cinquante minutes, nous arrivons à la passerelle brisée de la Coume de la Baque. En deux heures dix, nous atteignons le baraquement du lac du Portillon. Très beau temps.
En une heure trente-cinq de plus, nous arrivons au col neigeux au nord du pluviomètre, après avoir tâtonné sur les flancs de la Tusse de Montarqué. Bel à-pic sur le lac glacé du port d’Oô. Sous le pluviomètre, je fais lever sous mes pieds six lagopèdes déjà presque entièrement blancs. À 10h20 (soit en quatre heures cinq depuis Espingo), nous faisons la halte casse-croûte au début du glacier, à 30 mètres au sud du pluviomètre. En trente-cinq minutes, nous remontons le glacier, merveilleusement facile, et atteignons le sommet, le docteur par le versant nord enneigé, moi par les escarpements rocheux du versant espagnol.
Une heure au sommet, vent du nord assez froid, beau temps, mais les nuages s’amoncellent juste alors et masquent les Monts Maudits et la région Néouvielle-Gavarnie. Sur la plaine, assez bonne visibilité. Deux aigles passent. Retour sur le glacier à toute crête, fort étroite. À 13h15, nous retrouvons nos sacs au pluviomètre et redescendons en une heure quinze au baraquement du lac. J’aime beaucoup ce terrain chaotique. À 17 heures, nous arrivons au refuge après avoir payé Fourtant, rencontré au lac Saounsat. En vingt minutes, nous faisons chauffer un dernier bouillon, dernier casse-croûte de la journée, et en deux heures juste, j’arrive à la lanterne aux granges d’Astau, précédant le docteur de quelques minutes. Descente en roue libre sur Luchon, à la lanterne. Dîner tardif à la pension du Casino où nous couchons. Le docteur Gandy repart de Luchon le lendemain à 6 heures, moi à 16 heures seulement, étant resté pour faire sortir Maud et Gilberte avec lesquelles nous avons déjeuné à la pension du Casino. Le soir, je descends en gare de Montréjeau et réintègre Mourlon à bicyclette pour être sûr d’avoir mon vélo.

Col de la Baque
Quayrat
Gourgs Blancs
Port d’Oô
(21- 24 juillet 1942)

21 juillet. Partis de Luchon à midi à bicyclette, nous arrivons à Astau, où nous laissons les vélos, et à Espingo à 18 heures, par température agréable. À Espingo (brouillard et froid), nous nous installons sur les bat-flancs, puis arrivons au camp Barrué et, de là, à une petite grotte dans le schiste. À la salle à manger se trouve une colonie de vingt-huit à trente Marseillais de la section de Provence du C.A.F. Nous dînons, et ensuite coucher.
22 juillet. Réveil à 5h30, départ à 6h30. Le brouillard s’est levé dans la nuit, le cirque apparaît avec un enneigement frais et les rochers des crêtes sont verglacés. Par le sentier habituel, nous montons au lac du Portillon sur les traces de la caravane de Marseille qui bifurque à la Coume de la Baque pour aller aux Gourgs Blancs. Notre caravane est composée de Marcel Loubens (NDLR : le spéléologue décédé accidentellement le 14 août 1952 dans le gouffre de La Pierre-Saint-Martin était un ami de Norbert Casteret) , Édouard de Crozefon (NDLR  : voisin et ami des Casteret) et son neveu Bino de Crozefon, (NDLR : Bino, diminutif de Bernard) , Raoul, Maud, Colomba (NDLR : Colomba Foggiato, une jeune Italienne qui travaillait à cette époque chez les Casteret) et Henri Castéran, que nous avons trouvé hier au refuge. Nanie et Mme Castéran sont restées à Espingo. Aux baraquements du Portillon, des séminaristes de Polignan, qui ont couché là, s’apprêtent à dire la messe. Nous montons à flanc la Tusse de Montarqué où nous faisons halte pour déjeuner et où nous sommes rejoints par un guide et deux alpinistes âgés, dont l’un est chaussé d’abarcas. Au pluviomètre, nous faisons notre principal repas et, facilement, nous atteignons le cap du Seil de la Baque (3114 mètres) où nous rejoignons les trois alpinistes et où ne tardent pas à nous rejoindre l’abbé Barrué, les deux fils Castéran, Bergès, Seurey. Temps superbe, vent frais, enneigement de la veille (spectacle rare au mois de juillet). On passe une heure au sommet et nous repartons sans incident. Au lac glacé, rencontre de Nanie et Mme Castéran, venues à notre rencontre. À Saounsat, bain (Loubens, Bino, Raoul et moi). Du haut du Seil de la Baque et toute la journée, on voyait des caravanes et des isolés un peu partout : Gourgs Blancs, pic Gourdon, Spijeoles, crête d’Oô, crête du Seil, Perdiguero.

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Une photo rare qui associe les deux spéléos et amis Norbert Casteret et Marcel Loubens non pas dans leur spécialité mais en tant que randonneurs. En montant au Seil de la Baque (à l’arrière-plan, le Spijeoles), le 22 juillet 1942, lors d’une halte au pluviomètre, de gauche à droite : Pierre Castéran, Colomba Foggiato, Norbert Casteret (coiffé d’un chapeau blanc), Marcel Loubens (béret et lunettes noires), Henri Castéran, Édouard de Crofezon.
Henri Castéran et son fils Pierre étaient des compagnons de randonnée rencontrés la veille au refuge d’Espingo. Colomba Fagietto était une jeune Italienne qui travaillait à cette époque chez la famille Casteret. Édouard de Crozefon était un voisin et ami de Norbert et Élisabeth Casteret. La photo a été prise par Maud Casteret ou par son frère Raoul. (Collection Casteret)

23 juillet. Départ à 7h30 (Loubens, Édouard, Bino, Raoul, Colomba) vers le Quayrat, ce pic que j’ambitionne depuis longtemps et où Élisabeth est montée en 1923 ou 24. Grâce à Barrère et Mouliné, qui montent devant nous, nous trouvons le bon itinéraire : sentier du hount sec, éboulis, ressauts, gazons, grand pierrier et chaos, escalade d’une barre rocheuse et cheminée de droite (avec bloc coincé). Là, nous utilisons la corde. Gazons encore, couloir pierreux et, enfin, brèche du Quayrat et vue sur le cirque du Lys. De là, une montée facile sur l’échine de la montagne nous amène au sommet nord où nous déjeunons, tandis que nous voyons Barrère et Mouliné sur le sommet sud. À toute crête et à l’aide du lasso de Raoul, nous traversons la crête assez tourmentée et atteignons la fameuse « dalle », qui n’offre aucune difficulté. Magnifique sommet, très aérien, temps splendide, mais des nuages menacent de monter de la plaine.
Retour au sommet nord où nous arrivons en même temps que la cordée Barrué qui va entreprendre la traversée Quayrat-Lézat à la suite de Barrère et Mouliné, qui y sont déjà engagés. Il est midi. Ils n’atteindront le Lézat qu’à 10 heures du soir, et auront de grosses difficultés pour descendre de ce pic dans l’obscurité. Ils n’arriveront au refuge qu’à 4 heures du matin ! Pour nous, descente sans histoire ; nous prenons la cheminée nord, plus facile. Le soir, au refuge, arrivée de quarante paysans et paysannes du Tarn-et-Garonne, avec sacs à provisions, valises, cannes. Encombrement au dortoir ; nuit agitée.
24 juillet. Départ à 6h30 (Maud a repris sa place dans la caravane) pour les Gourgs Blancs. Jusqu’à la passerelle de la Coume de la Baque, nous cheminons avec la caravane du Tarn-et-Garonne, qui va au lac glacé, et avec Prada, Dupont et un troisième, qui vont ascendre le Spijeoles par le nord. Rude montée jusqu’à la barre du lac glacé du port. De là, la course devient intéressante, à travers rochers et névés pentés.
Au col des Gourgs Blancs, déjeuner dans cadre splendide. Puis, assaut du névé, brèche et sommet des Gourgs Blancs où nous lézardons. Belle mer de nuages sur la plaine, quarante isards sur les névés sud du Seil de la Baque.
À la descente, nous consacrons un quart d’heure à l’ascension amusante du pic du port d’Oô (comme en 1926, il y a seize ans). Descente facile, par beau temps, à Espingo. Nous avons tous de rutilants coups de soleil. Dernière nuit à Espingo.
25 juillet. Vers 7h30, nous descendons sur Oô et Astau et, de là, en roue libre à Luchon, très animé, où nous déjeunons à la pension du Casino ; visite au musée de Luchon et, à 15heures, à la gare.

Espingo
(13 - 15 octobre 1942)

À bicyclette à Astau et à pied à Espingo, par beau temps (Gattet, de Crozefon, Pons, Colomba et moi). À Espingo, nous nous installons dans la pièce d’hiver ; nous retrouvons Mme Artigue qui nous a devancés. Dans la nuit, bruine et pluie. Départ à 9 heures, sous la bruine qui s’aggrave lentement. Au-dessous de la Coume de la Baque, Gattet, Pons et Mme Artigue font demi-tour. Avec Crozefon et Colomba, nous continuons jusqu’au baraquement du Portillon où nous arrivons à 11heures. Grâce à la cuisinière et à du bois sec, nous organisons une longue séance de séchage. À 13h30, les nuages sont enfin balayés et le coup d’œil est très beau depuis le lac où nous allons. Mais il est trop tard pour monter au Seil de la Baque, qui était notre objectif, et nous redescendons vers Espingo (dans la brume) où nous trouvons trois jeunes gens (Piquemal, Keydel et X). Bonne nuit et départ pour Luchon à 9 heures du matin. Déjeuner à midi, au restaurant du Casino, avec Mme Artigue, Maud et Gilberte (mais sans Gattet, rentré à Boussens). Expédition manquée pour quelques heures de brume.

Paloumère
(10 - 11 juin 1943)

Je remorque Raoul jusqu’à Arbon, en vélomoteur, et nous arrivons à La Baderque à 11 heures. Déjeuner à l’auberge. Puis, montée par la fontaine de l’Ours, l’escale de Peyraguil et la cabane de Paloumère où nous jetons un coup d’œil sur le gouffre de l’Arche. Le brouillard se met de la partie et nous montons au sommet de Paloumère, que j’avais gravi il y a vingt-huit ans... Revenus au refuge, Raoul s’occupe de la cuisine, tandis que je vais dans le vallon du versant de Milhas où je trouve et visite une grotte. (Couloirs bas, très froids ; est-ce la grotte des Moutons ?) Je vois aussi la perte de la résurgence du ruisseau (percée de 80 à 100 mètres). Le brouillard s’est dissipé et nous mangeons notre polenta dehors. Courte veillée au coin du feu et au clair de lune et nous nous couchons à même le sol terreux de la cabane.
Le lendemain, visite au puits du Plantillet et à la Glacière. Sommet du Touech. Belle vue sur la chaîne, mais mer de nuages sur la plaine. Nous allons vers le clôt Henne Morte, en forêt, à travers chaos de rochers et effondrements importants où je descends. Ils sont bouchés. L’un contient de la neige et est inaccessible sans agrès. À midi, clôt de la Henne Morte où nous déjeunons. Puis, descente par le planero de Pey Jouan et La Baderque. (Résurgence à 9°, au-dessous du sentier).
Halte casse-croûte chez Oliban. Retour à Saint-Gaudens, à 19 heures.
(Note de Gilberte Casteret  : Après un entr’acte de plusieurs mois dû aux évènements de la Libération et aux convulsions qui l’ont précédée, N.C. reprend ses occupations et ses récits.)

Cagire
(05 et 06 septembre 1944)

À bicyclette avec Maud (17 ans) et Gilberte (14 ans). Départ de Mourlon à 9 heures. Juzet à midi où nous garons nos vélos chez le curé. Nous déjeunons au pied de la montagne à 13 heures, par température agréable. À 15h25, nous atteignons la cabane où nous nous reposons jusqu’à 16h15. Par les lacets de la Couage (groseillier phénomène, flore assez variée vers le haut), nous arrivons à la crête vers 18h30. Le temps s’améliore ainsi que la vue. Longue séance à la lorgnette sur le panorama de la plaine (Mourlon) et de la haute chaîne. Sommet de Pique-Poque, petite vierge dans une niche, gouffre, nombreux choucas, signal 1915 et dîner un peu en contrebas, au sud (lapin farci). Visite à la croix et à un grand drapeau tricolore placé là depuis quelques jours, en l’honneur de la Libération. Coucher du soleil, crépuscule. À 21 heures, nous apercevons un feu allumé, comme convenu, par les scouts qui campent à Mourlon. La nuit s’épaissit, les villages s’allument les uns après les autres, les étoiles aussi. À 22 heures, nous nous allongeons dans nos duvets, sur la terre battue, non loin de la mare du milieu de la crête. Nuit pas trop froide pour l’altitude. Clair de lune féérique toute la nuit. Marche des constellations. À 3 heures du matin, je fais un petit tour pour regarder la plaine et les montagnes. Sommeil entrecoupé, veille, mal aux hanches. À 9 heures, après avoir vu trois jeunes gens évoluer autour du drapeau déchiré, nous descendons par l’arête de Plaède. Descente abrupte dans les pâturages, puis en forêt, jusqu’à la clairière où nous constatons l’incendie de la cabane et l’effondrement de divers gourbis ayant servi dernièrement au maquis. Déjeuner à la fontaine de Plaède, de 10h45 à 11h20. Enfin, Juzet à midi et départ à bicyclette à Aspet où nous empruntons du pain au docteur Pradère. Déjeuner au bord du Ger ; en face, Ampédouze. À Miramont, je vais me baigner dans la Garonne avec Gilberte. Maud, non munie de son maillot et souffrant de névralgies, rentre seule à Mourlon où elle nous précède.
Belle course, beau temps, belle nuit au sommet. Gilberte, dont c’est la première course importante, a très bien marché. (Note de Gilberte Casteret : hé, hé …)

Pic du Gar
(12 et 13 septembre 1944)

À bicyclette, au col des Ares où nous arrivons à 16h45 (Raoul, Maud et Roger Martin). Nous remisons nos vélos au hameau de Sainte-Anne (maison Michel) et nous engageons sous bois, après avoir fait une cache dans un gros hêtre (pommes de terre et pain). Pour atteindre le col du Hô, nous tâtonnons et y arrivons sans trop de mal. De là, grâce à la boussole, nous nous élevons plein sud (tétras) jusqu’au moment où une grimpée assez rude nous conduit au chemin en écharpe qui monte de Fronsac.
Nous nous égarons quelque peu avant de sortir de la forêt par le bon ravin et sa raide clairière. À la tombée de la nuit, nous atteignons la source de la cabane, hélas démolie (plus de toit, ni de porte). Il est 20h45 (trois heures depuis le col des Ares). Les aboiements d’un chien nous attirent vers une pauvre hutte habitée par un berger sourd, goitreux et bavard (Ouchti là...) Corvée de bois, feu, cuisine (millas) et coucher côte à côte sur une grande toile de sol huilée. À un vent violent succède un temps calme et doux ; nuit étoilée toute la nuit.
13 septembre. À 7h15, debout. Feu, café. (Quel café léger, amer, sale et sans sucre !). Le temps se couvre et il pleut. Notre toile de sol devient un toit, posée sur des poutrelles de fer. Nous partons à 9 heures, au moment où le berger vient nous voir. À 9h30, nous sommes à la croix de la Dent du loup, entourée de vaches et en plein brouillard. Puis, après un grain, quelques échappées nous permettent d’admirer les à-pics et les environs. Vue sur la plaine. De là, nous allons au pic Saillant. Et, après deux heures de flâneries, nous redescendons en quinze minutes à la cabane où nous déjeunons à midi, sous la pluie. Départ à 13h30. Col des Ares à 14h20. Achat de pommes. Bain au lac de Saint-Pé-d’Ardet.

Pic d’Areng
Soum du Templa
(18 - 19 septembre 1944)

À bicyclette, avec Pierre Castéran, sous la pluie (ma chaîne sautant fréquemment), nous arrivons aux chalets Saint-Nérée, à 10h20 du matin, et nous garons nos bicyclettes. (Départ de Saint-Gaudens, 7h10.) Ensuite, le temps s’améliorant graduellement, nous partons pour le col de l’Aouet où nous devons coucher à la cabane d’Ilhet. Longue montée, très agréable, en musardant. La flore est riche. À 1100 mètres d’altitude, je trouve un repère en fonte du « Nivellement Général de la France ». Il s’est descellé d’un rocher fracassé. Halte à la fontaine de l’Artigue (12h45). Cueillette de coulemelles que nous ferons frire, ce soir, à la cabane.
Col de l’Aouet à 14h20 où nous bavardons avec des bergers. (Brouillard.) Nous nous installons dans la cabane confortable (lits à sommiers métalliques), et nous partons à la corvée d’eau et de bois. Cuisine, veillée et, vers 22h, au lit. Nuit excellente. Le beau temps semble assuré.
19 septembre. À 5h45, lever, temps splendide. Très beau crépuscule (vaches à contre-jour au col de l’Aouet). Nous passons à la source dont nous avons arrangé le captage rustique hier soir. Puis une grimpette sévère nous fait gravir la crête et nous découvrons le panorama magnifique de la chaîne et des vallées d’Aure. À 9h15, après une longue marche à flanc, nous atteignons le sommet du pic d’Areng où nous stationnons jusqu’à 11 heures. (Boite aux lettres, carte de Séguy, Patrick Dottin, etc.…) Très belle vue ; vautours ; un berger passe au sommet. Descente vers le col et marche vers le soum du Templa où nous arrivons à 12h25 après avoir fait, au passage, le soum de Pélère.
À 13 heures, abandonnant notre projet d’atteindre le Mont Né, qui est vraiment trop loin, nous descendons par la crête nord-ouest vers Crouhens. Rencontre d’un autre berger, puis de bûcherons qui font hâler des sapins par de vigoureux mulets. À 15 heures, halte casse-croûte en forêt, un peu en amont de Crouhens. À 16h15, nous reprenons nos vélos à Saint-Nérée. À 17 heures, arrêt à Mauléon pour rendre visite au curé, absent. Au sortir du presbytère, un lieutenant FFI (Peyrat, de Tarbes) m’accoste dans la rue et m’annonce qu’il est chargé de m’arrêter !! Dans un camion qu’il a réquisitionné, nous montons avec nos bicyclettes et en route pour la gendarmerie de Loures. D’où nous sommes transférés, sous la garde d’un gendarme avec mitraillette, à Saint-Gaudens. Au commissariat où nous échouons, Castéran est relâché aussitôt tandis que l’inspecteur de police Arrieu me signifie mon arrestation comme milicien... !
Mon incarcération va durer dix-neuf jours, jusqu’au 7 octobre, jour où je suis libéré avec excuses et félicitations sur un coup de téléphone du 2e bureau de Toulouse.
(Note de Gilberte Casteret : Pauvre Papa ! Et pauvres de nous ! Quelle époque...)

Auzat
Vallée du Vicdessos
(16 - 17 mai 1945)

En auto, avec M. Montalibet, nous allons coucher à Tarascon. Le lendemain, prenant au passage M. Hulin, nous allons à Vicdessos et Auzat où je revois Dubreuil et Martinez. En câble aérien, nous montons jusqu’au canal couvert (ancien) qui alimente l’usine d’Auzat. Je pars seul, en avant, et parcours les cinq kilomètres de canal jusqu’à Marc. Passage à la petite usine de Bassier, cantine de Ranet ou de Hert où je trouve Gatto. (Prisonniers italiens). Promenade ravissante avec, pour toile de fond, le massif du Montcalm.
À la cantine de Marc, j’attends Montalibet et Hulin jusqu’à 15 heures pour déjeuner.
Au retour, nous cheminons avec un groupe d’ingénieurs en inspection jusqu’à la cheminée d’équilibre. Descente le long de la conduite forcée jusqu’à Auzat. Retour en auto à Saint-Gaudens, vers 21 heures.
À Hert, j’ai entrevu une résurgence qui jaillit à 50 mètres du collecteur. La société (Adams, Frigs et Camarape) voudrait la récupérer.

Cirque de Caderolles
Pic de Campana de Cloutou (2456 mètres)
(2 juin 1945)

En auto, avec Montalibet, à Bagnères et Artigues. Au premier lacet du Tourmalet, nous montons en téléphérique, très aérien, jusqu’au lac de Caderolles où je laisse Montalibet au chantier (11h30) et je monte au lac de Gréziolles où je rencontre monsieur S. Là, je décide de monter au pic de Campana qui me paraît plus proche que le pic des Quatre Termes. Remontant le torrent du lac de Gréziolles, j’arrive aux baraquements de Campana où je m’élève vers mon pic qui domine le lac d’Arredoun ou de Campana. Chaos de granit, grimpette, escalade terminale de dalles granitiques. Sommet à 13h30. Blocs en désordre, sommet aérien très pittoresque. Je déjeune d’un pâté et de miel en admirant le paysage que j’identifie grâce à ma carte et à la boussole : pic du Midi, Pène Blanque, Pène Nère, pic des QuatreTermes, crête du cirque, pic de Bastan, Portarras, Montarrouye, Montfaucon, Arbizon, Madamette, plaine.
Départ à 14h15 par arête ouest, descente par cheminée nord, chaos, névés. J’erre dans les rochers et sur la neige, entre des lacs glacés ou à peine libres. Descente sur le lac de Gréziolles où j’arrive à 15h20, après avoir erré et flâné. Je descends lentement sur Caderolles où j’arrive à 16 heures. Descente splendide, en câble très aérien. Retour à Saint-Gaudens à 20 heures. J’ai rapporté des gentianes acaulis, avec la motte. Elles durent quelques jours dans le sable humide.

Cirque de Gréziolles
Pics de Bastan, Portarras, Quatre Termes et Contadé
(11- 14 septembre 1945)

(Avec Maud et Gilberte)
De Saint-Gaudens à Bagnères de Bigorre (12h30). En auto découverte de la SAEETP jusqu’au-dessus d’Artigues, par temps superbe. En téléphérique très aérien jusqu’à Caderolles où nous déjeunons à la cantine avec MM. Bagonnier et Lacombe. Vers 15 heures, nous prenons le deuxième téléphérique jusqu’à Gréziolles d’où nous montons à pied jusqu’à Campana où nous laissons nos sacs dans un baraquement abandonné. Ascension facile du Campana de Cloutou d’où le lac de Campana est d’un bleu admirable. De retour à 20 heures au baraquement ; dîner, feu et veillée. Nuit sur le plancher.
12 septembre. Lever à 7h30. Grand beau temps. Départ de Campana à 8h20. À 10 heures, nous arrivons au col de Bastan après avoir remonté les déversoirs des différents lacs. Au col, vu un isard peu farouche. (Note de Gilberte Casteret  : mon premier isard. Déroutée par la grandeur du paysage, je l’avais vu gros comme un lapin !) Pic de Bastan à 11 heures. Nous y déjeunons jusqu’à midi. Très beau panorama (vingt-neuf lacs). Col à 12h30. Crête de Portarras à 13h25. (Repos d’une heure.) Descente par couloir raide. À 15h15, nous nous baignons dans un des petits lacs du col de Bastan. À 17 heures, nous reprenons nos sacs à Campana et nous redescendons sur Caderolles à 19 heures après un long arrêt au chantier du barrage de Gréziolles où travaillent des prisonniers allemands. À Caderolles, nous attendons l’heure du dîner sur la jetée des laquets. Nous couchons dans une chambrette munie de trois lits, avec paillasses et couvertures.
13 septembre. Lever à 7 heures, départ à 7h50. Par pentes d’éboulis et chaos granitiques interminables, nous longeons la crête de Pène Nère, passons sous le pic de Teste Guilhem (où je trouve un bidon d’aluminium) et arrivons à la brèche entre le pic des Quatre Termes et le Contadé (vautours et belettes). Il est 11h45. À midi dix, une rude et brève escalade nous conduit au sommet des Quatre Termes. La plaine, comme hier, est sous une mer de nuages illimitée. Nous signons au revers de la carte de visite de M. et Mme Esquilat. Trouvé une carte de Ledormeur de 1920...
À 14 heures, après avoir déjeuné à la brèche, nous sommes au sommet du facile Contadé. À 14h45, nous nous baignons dans un petit lac du cirque que nous traversons pour regagner le lac de Gréziolles en musardant autour de lacs et dans les bombements rocheux. Au déversoir, où le brouillard fait une offensive, nous regardons longtemps les travaux de fouilles du futur barrage. À 19 heures, nous sommes de retour à Caderolles. Dîner et coucher.
14 septembre. Journée de retour. Câble du téléphérique, camion jusqu’à Bagnères. Bagnères - Saint Gaudens par chemin de fer, à 16h50. Le soir, à 21 heures, je dîne (invité par Raufaste) dans le wagon-restaurant de journalistes parisiens en tournée dans le Comminges.

Vallée de Lutour
Lacs d’Estom Soubiran
(19- 20 septembre 1945)

Une auto vient me chercher à Mourlon et m’emmène à Cauterets vers 15 heures. Là, je pars, aussitôt, à pied, avec M. Serra, un muletier et un mulet pour le lac d’Estom où nous arrivons à 18 heures. Dîner et coucher avec les topographes, dans l’ancienne hôtellerie du lac d’Estom.
À 8 heures du matin, départ avec M. Serra et les topographes. Lac inférieur d’Estom ou de Labas, à 9h10. Très beau temps. Examen d’une résurgence sur la rive est du lac. Montée au lac des Oulettes et visite de la grotte-résurgence où je trouve un bassin siphonnant à 7° et à -10 mètres. Examen de la perte du pont d’Enfer. Déjeuner au petit lac d’Estom Soubiran (2452 mètres). Redescente au cours de laquelle je me détache pour examiner un faux porche de grotte. En attendant les camarades qui redescendent avec leurs kayaks et leurs tentes, j’observe à la lorgnette neuf isards perchés sur la crête du pic de la Sède. Arrivés à l’hôtellerie du lac d’Estom, nous décidons de descendre jusqu’à Cauterets, avec M. Serra. Nous y arrivons à 21 heures. Dîner et coucher à l’Hôtel Mouré.
À 4 heures du matin, on me descend en auto jusqu’à Lourdes où j’ai le temps d’arriver à la grotte avant de prendre mon train pour Saint-Gaudens où j’arrive à 15 heures.

Tusse de Maupas
Pic de Boum
Tusse de Prat Long
(16 - 18 juillet 1946)

16 juillet. Avec Maud et Gilberte, nous faisons à bicyclette le trajet Luchon - cascade d’Enfer, par temps beau et chaud. À la centrale de la C.E.I. nous laissons nos sacs qui montent par le téléphérique et nous montons à pied par le gouffre d’Enfer. Il est 14 heures. Toujours très beau et chaud. À 15h30, nous atteignons la Rue d’Enfer où nous goûtons. Au-dessus, le sentier, presque abandonné, disparaît dans la végétation. La montée s’éternise et devient pénible. À 19h15, nous arrivons au château d’eau où dix ouvriers sont à table et où nos sacs viennent nous rejoindre. Nous nous installons dans une petite chambre. (Deux lits et une paillasse). Grâce à un radiateur, nous avons très chaud.
17 juillet. Départ à 6h30. Montée à travers granit et névés. Beau temps, mais violent vent d’Espagne avec force nuages. Vu deux lagopèdes, dont un nous considère à quelques pas. À 9 heures, nous quittons le glacier et entamons la crête. À 10h45, sommet. Nous stationnons près d’une heure au pied de la tourelle, attentifs aux carabiniers et soldats possibles, car la frontière est gardée et, il y a quelques jours, trois séminaristes du camp de Prat Long, ont été cueillis et emmenés à Vénasque.
Ma première ascension de la Tusse de Maupas remonte au 10 juin 1926. (Vingt ans.) J’y étais monté de Prat Long, avec Élisabeth. Ce fut notre premier 3000 ensemble. Nous avions eu un enneigement splendide. Le lendemain, nous gravissions le Sauvegarde.
À midi, revenus au sommet du glacier, nous déjeunons et faisons la sieste dans le rocher. Quelques toboggans et flâneries nous ramènent au château d’eau vers 15h30. Nous allons à la Tusse de Prat Long puis regagnons les baraquements où nous rencontrons les Éclaireurs de Saint-Gaudens (Frères Kaufmann, frères Leenhardt, Bergès, Vinas fils). Deuxième nuit à la cantine.
18 juillet. Départ à 5h30. Splendide mer de nuages, très beau temps. À 7 heures, nous atteignons et traversons le glacier du Boum. À 7h30, commencement de l’ascension rocheuse. À 8h15, sommet. (Ma première ascension date d’août 1939, avec Martial.) Nous épluchons la boite aux lettres où manque ma carte de 1939 : « Venus du Maupas en treize heures par la voie normale », alors qu’il y a des cartes bien antérieures d’amateurs d’autographes... Nous avons suivi des yeux l’ascension des Éclaireurs à laTusse de Maupas. Ces derniers se dirigent maintenant vers le Boum en traversant le glacier tandis que l’un d’eux, Vinas, fait la traversée à toute crête. Vue étendue et claire sur la plaine où la mer de nuages règne vers 1800 mètres.
Nous redescendons et croisons les Éclaireurs au pied du Boum où Maud et Gilberte font un toboggan... exhibition ! À 10h15, nous repassons au château d’eau Toilette hâtive et descente sur Prat Long où l’on nous offre la descente en funiculaire. (Un ours, est passé en forêt il y a quelques jours, devant le wagonnet.)
À 13 heures, nous reprenons nos vélos à l’Hostellerie du Lys. À 13h30, nous nous mettons à table « Chez Céleste », après une belle descente en roue libre. Le soir, retour à Mourlon.

Quayrat et Perdiguère
(02 et 03 août 1946)

Avec Raoul et Maud (21 et 19 ans), je monte à bicyclette à Astau par beau temps et forte chaleur. Nous déjeunons à la croix de mission de 1925 d’Oô où une jeune fille (que nous reverrons à Espingo) nous emprunte la pompe à bicyclette. Rencontré aussi l’abbé Dias, de Saint-Pé-d’Ardet. À Astau (camp de scouts sous la tente), nous laissons les vélos et montrons nos cartes d’identité aux gardes-frontière. Il est 14 heures et nous serons à Espingo à 17h15. Au lac d’Oô, nous plongeons et nageons avec Raoul. (Maud a oublié son maillot.) Trouvaille d’un saucisson et de deux jus de fruits !
Entre Oô et Espingo, rencontre de Jean Casse et de sa femme, de Montéty, etc. Puis une jeune fille et son chien épagneul breton, qui vient de Superbagnères. Puis l’abbé Efforçat et sa troupe. À Espingo, rencontre de Pierre Bergès et Pierre Compans ; l’abbé Guitard et sa cousine, etc... Bain de nous trois à Saounsat. Assez bonne nuit au dortoir.
2 août. Départ d’Espingo, à 6h30, pour le Quayrat. Nous ratons la bonne cheminée. (Je le crois du moins.) À 9 heures, brèche du Quayrat. Crête. (Beaucoup d’armeros.) Sommet nord à 10h15 où nous laissons le sac. Sommet sud à toute crête et sans corde cette fois. (En 1942, nous avions utilisé une corde main courante.) Là (10h40), nous retrouvons la cordée de l’abbé Guitard qui se dispose à parcourir la crête Quayrat-Lézat. Longue flânerie au sommet où nous sautons plusieurs fois sur le monolithe terminal. Une troupe nous rejoint : Georges Ousset, de Luchon, très agile, des Marseillais, deux jeunes filles et un type à chéchia qui reste sur le sommet nord ; il donne à Ousset deux œufs que ce dernier empoche, mais c’était des œufs crus !!
Nous redescendons sans nous presser. Très beau temps, vue complète. Le soir, Raoul nage dans le lac d’Espingo. Deuxième bonne nuit au dortoir.
3 août. Départ à 5h20. Nous renonçons au Hourgade et partons pour le Perdiguero. Alpenglühn, très beau temps. Lac du Portillon à 7h26. Passage du déversoir. Halte casse-croûte sous le Royo. (Bidon rempli à un stillicide de neige.) Nous faisons, en sens inverse, le trajet suivi en 1941, à la descente du col supérieur de Litérole. Nous arrivons à ce col à 9h45-10h05. (Halte au signal frontière.) Magnifique crête et sommet à 10h30. Vue complète et température agréable. Le nouveau registre date de 1936. J’y inscris : « Est-ce de la métempsychose ? Mais non ! Je suis bien venu ici il y a vingt-et-un ans (1925) avec Louis Robach et mon frère Martial. Aujourd’hui, je m’y retrouve avec deux de mes enfants, Raoul (21 ans), Maud (19 ans). Mirabilis in alter dominus. »
Trouvé une carte d’Arlaud et une de Prosper Romieu. Après photos et tour d’horizon, nous redescendons à 11h25. À 11h45, nous reprenons les sacs et les piolets au col. Le temps change assez subitement et menace. Quelques magnifiques toboggans. Puis, erreur d’itinéraire. Faute de ne pas avoir obliqué assez à gauche, nous devons sauter une barre rocheuse ; toboggan encore. Halte (12h30) au même endroit que ce matin ; nous finissons notre kilo de miel. Des silhouettes se profilent au sommet du Lézat. Au déversoir, nous sommes surpris et trempés par une pluie orageuse. Heureusement, nous pouvons nous abriter dans une baraque. Après quarante-cinq minutes d’attente, nous repartons à la faveur d’une éclaircie. Descente émaillée d’une chute de Maud (toboggan transformé en descente-bolide jusque sur des rochers) qui a la chance d’arriver les pieds en avant. À Espingo, brin de toilette, sacs au dos, et descente rapide sur Oô et Astau (17h30). Descente en roue libre. (Raoul répare au calvaire d’Oô.) Gare de Luchon, 18h30. Train à 19h30. Arrivée à Saint-Gaudens sous la menace d’un orage-cyclone qui ne se produira pas.
Très belle course, par très beau temps. Tous trois en grande forme. Vu une seule trace d’isard dans les névés du Perdiguero et un vautour au Quayrat.

Pic du Gar
(17 juin 1947)

En auto, avec Alphonse et Colomba au col des Ares. En route aussitôt pour le col du Hô. Voici l’itinéraire, une fois pour toutes, afin d’éviter les errements que je réitère aujourd’hui.
À prendre le chemin-sentier qui débouche sur la route des Pyrénées, juste en face du chemin qui conduit au hameau de Sainte-Anne. Après sous-bois, puis bande de fougères, on rentre de nouveau en forêt après être passé un peu au sud de l’abreuvoir du versant ouest du col des Ares. Le chemin devient très creux et présente en ce point un embranchement en fourche aigüe : prendre le chemin de droite. Cinq cent mètres plus loin (au moins), le chemin de crête herbeux présente un sentier lui aussi herbeux et pas très marqué, qui oblique à gauche. Prendre ce dernier sentier et abandonner le chemin de crête. Le nouveau sentier (qui, par moments, n’est guère plus large que le pied), amène au col du Hô. Cinquante à cinquante-cinq minutes depuis le départ. Après le col, prendre une des pistes qui montent vers la gauche, plein sud, et monter jusqu’à recouper le chemin horizontal du Mail de Pountat. Abandonner ce chemin principal lorsque se présente un sentier à main droite. Plus haut, laisser un chemin à main droite (qui va au Cresp). On arrive au ravin, que l’on remonte jusqu’à la fin de la forêt, et à l’abreuvoir de la source.
Nous arrivons là, après maintes erreurs en forêt. Temps splendide, soleil ardent. En trente minutes, nous atteignons la croix de la Dent du loup, suivis de peu par cinq enfants du séminaire de Montréjeau. Vue complète sur les Pyrénées, du Montaigu au Valier (pic du Midi, Quatre Termes, Néouvielle, pic Long, Campbielh, Arbizon, Schrader, Hourgade, Spijeoles et la suite jusqu’au Sauvegarde, tous les Monts Maudits jusqu’à la Forcanada, Montlude, Entecada, Crabère, etc.)
Photos, martinets, choucas, vautours. Sommet du Gar et déjeuner face à la plaine que nous scrutons à la lorgnette. (Mourlon, Pigné, Izaut, etc.) Nous revenons à la croix où se trouvent quarante-trois élèves et trois maîtres de Montréjeau. Je leur commente le panorama et nous redescendons. Dans la forêt, je manque encore le chemin, mais nous arrivons quand même au col du Hô et, de là, à Sainte-Anne. Descente en auto à Izaut où nous dînons. À 23 heures, Alphonse me dépose à Mourlon.

Pic de l’Arbizon
(22 juillet 1947)

21 juillet. Par le train, à Arreau, avec Gilberte, à 19h15. À bicyclette, nous « montons » à Aulon, où nous arrivons à 22h30. Coucher dans le foin d’un grenier. (Note de Gilberte Casteret  : Au-dessus d’une vache qui nous a empêchés de dormir toute la nuit, tant elle était remuante et bruyante...)
22 juillet. Réveil à 5 heures et départ à 5h30, par beau temps. Granges de Lurgues, barrage de Lavedan. Nous remontons le premier ruisseau rencontré après les granges. (Il aurait fallu traverser ce ruisseau et ne remonter que le deuxième rencontré : d’où erreur pour toute l’ascension.) Montée raide et pénible, ruisseau bientôt sec, iris, vautours ; tué deux vipères. (Note de Gilberte Casteret : N.C. avait l’habitude de tuer systématiquement toutes les vipères qu’il rencontrait. Il m’avait appris une fois pour toutes la manière de reconnaître et différencier les vipères des couleuvres : les premières ont la pupille de l’œil traversée par une ligne droite ; les secondes ont la pupille ronde. « Moyen infaillible d’identifier l’ennemi ». Mais qui peut se permettre d’aller regarder dans les yeux avec, en face de soi, le bestiau redressé et furieux ? Pas moi, en tout cas ; d’autre part, n’oublions pas, qu’à l’époque, les serpents, et surtout les vipères, étaient classés comme animaux nuisibles. Les mairies de villages allaient jusqu’à octroyer une prime aux valeureux chasseurs qui apportaient la preuve de leurs exploits à l’équipe municipale !)
Notre erreur d’itinéraire nous entraîne beaucoup trop à l’est, en vue des à-pics du petit Arbizon. Nous revenons vers l’ouest par crête, éboulis et terrain pénible. (Vautours, moutons nombreux.) Un boyau rocheux de 10 mètres traverse de part en part la crête sud-sud-ouest du pic. Le temps, beau et chaud, devient orageux, avec vent. Les massifs se voilent de nuées orageuses, par places. À force de persévérance et d’efforts, avec de nombreuses haltes, nous nous rapprochons du sommet, ayant toujours sous les yeux, depuis le matin, le pic d’Aulon et le Montfaucon.
En approchant du sommet, un orage venu du cirque voisin de Caderolles vient vers nous et un coup de foudre violent nous cloue au sol à 200 mètres du sommet. Nous attendons. L’orage semble s’éloigner vers le nord. Nous achevons l’ascension mais, à dix pas de la tourelle, des grésillements électriques nous inquiètent. Ils se forment autour des oreilles, aux piolets, aux parties métalliques des sacs ; nous redescendons en hâte de 100 mètres, laissant sacs et piolets à 20 mètres de nous, et nous attendons. L’orage s’éloignant toujours, nous revenons au sommet. Tour d’horizon, boite aux lettres. Belle vue sur la chaîne et la plaine, avec écharpes de pluie sur divers massifs. Gilberte monte sur la tourelle et déclenche à nouveau les aigrettes électriques. (Note de Gilberte Casteret : Inutile de dire que je suis redescendue de ma tourelle beaucoup plus vite que je n’y étais montée !)
Montée de 5h30 à 14h10. Descente à 14h35, par grand éboulis du vallon principal. (Pluie et repos à 15 heures sous un rocher.) Nous sommes presque sans eau depuis ce matin et fort aise de boire à une plaque de neige qui distille un filet d’eau au-dessus de la fameuse fontaine de Coulariot que nous identifions enfin en fin de course ! Aulon à 19 heures. Arreau (à bicyclette), à 20 heures. Dîner excellent et nuit « avec le confort », cette fois, à l’Hôtel de l’Arbizon.
23 juillet. Arreau, 10 heures. Saint-Gaudens, midi (par le train).
(Note de Gilberte Casteret : À cette relation, plutôt sobre, de notre ascension, je voudrais ajouter ceci : enfin arrivés au sommet, pendant que mon père notait ses impressions et les détails de la journée sur son éternel petit carnet, j’ai eu l’idée de grimper sur la tourelle du sommet. Une fois arrivée en haut, j’ai levé le bras et pointé le ciel du doigt, dans l’intention de crier : « Je suis montée plus haut que toi. » Mais avant d’avoir seulement ouvert la bouche, j’ai été parcourue par ces étincelles diaboliques, avec leurs grésillements terrifiants. J’ai compris alors que j’étais en train de me transformer en paratonnerre ! D’un bond, j’ai sauté à terre et, « courageusement », ramassant au passage mon sac et mon piolet, j’ai pris la fuite comme si j’avais cinquante diables à mes trousses, imitée d’ailleurs par mon père.
Je voudrais ajouter aussi que mon père était plutôt frugal. Or, en 1947, nous étions encore en période de restrictions alimentaires. Nous étions donc partis de Mourlon avec pour seules provisions un saucisson et un pot de 1 kilo de confiture de banane. Nous avions l’intention d’acheter du pain à Arreau, mais nous avions trouvé porte close à la seule boulangerie du patelin, fermée « pour fermeture hebdomadaire ». Faisant contre fortune bon cœur, nous nous sommes donc lancés dans cette course insensée le cœur léger et l’estomac de même. Ajoutons à cela que, faute d’avoir trouvé une source dans ce massif incroyablement sec, nous avons marché une journée presque entière sans pain et sans eau !)

Résurgence Peyramale
(23 septembre 1948)

À Lourdes, avec le chanoine Maillet et M. Sens-Cazenave.
J’inspecte la résurgence du moulin de Peyramale, à Lourdes. Elle est extrêmement basse, comparée à mon examen de 1940 où j’avais trouvé voûte mouillante. La source de la grotte de Lourdes est, elle aussi, très diminuée : 18 litres/minute, au lieu de 65 litres autrefois.

Prat Long et Rue d’Enfer
(26 avril 1949)

Avec Massonnaud et Gilberte. En auto à la vallée du Lys. En funiculaire à Prat Long. Déjeuner à la station. Descente par la Rue d’Enfer, dans la neige, par temps bouché. Retour par le col des Ares et Izaut, où nous dînons.

Fouilles à Valentine
(18 juillet 1949)

Avec messieurs Mothe, Fouet, Gary, X. et Gilberte, sondages à la ville gallo-romaine d’Arnesp. Trouvaille d’une sépulture barbare, salles, murs, tuf, tuiles, huîtres, ossements de porc.

Les Eyzies
(31 août - 02 septembre 1949)

Aux Eyzies, par le train, avec Gilberte. Nous y arrivons à 17 heures. Hôtel Cro-Magnon. Bain dans la Vézère. (Note de Gilberte Casteret : classée, mais nous ne l’avons su que plus tard, parmi les rivières les plus poliomyélitiques de France.) Laugerie Basse : visite à M. Peyroni. Grotte du Grand Roc. Dîner à l’Hôtel Cro-Magnon avec l’abbé Catala et l’équipe italienne (M. et Mme Maviglia, comte et comtesse de …. etc.) M. Maviglia m’a apporté, de Milan, une lanterne de projection Agfa, deux lampes de rechange et quarante-trois cadres passe-vues.
1er septembre. Musée, visite de Font-de-Gaume avec l’abbé Catala. Après déjeuner, en car, à Montignac ; visite de Lascaux sous la direction de M. Blanc. Visite à l’abbé Breuil, chez Vindels.
2 septembre. À 9h30, cours de MM. Piveteau et Guillain, chez M. Lacorre. Musée. Après-midi, séance d’ostéologie au musée, sous la direction de David. Bain à la Vézère, avec Gilberte et l’abbé Catala. Dîner d’adieu avec les Italiens.
3 septembre. Retour à Saint-Gaudens, avec arrêt à Toulouse pour visiter le muséum, avec M. Delaplace.


 







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