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Entretien avec Monique Dollin du Fresnel
ENTRETIEN AVEC MONIQUE DOLLIN DU FRESNEL
Recueilli par Alain Babaud - Sud-Ouest du 14 avril 2009
« Il passait pour un original »
- L’arrière-petite-nièce de Russell a réalisé
une biographie très complète.
(Photo Guillaume Bonnaud).
« Sud Ouest ». Le centenaire de la mort d’Henry Russell, c’est une bonne occasion de relater sa vie et son oeuvre. Qu’apporte cette biographie, par rapport aux précédentes ?
Monique Dollin du Fresnel.
Je devais avoir cela écrit en moi depuis longtemps. Il y a deux ans, je suis tombée, dans le grenier de la maison familiale, sur une malle qui n’avait pas été ouverte depuis 1942. D’un seul coup, on était en plein « Harry Potter » ! Dedans, j’ai trouvé un trésor d’informations !
Il y a eu quatre ou cinq biographies sur lui, en effet, jusque-là, mais avec certaines inexactitudes... On se disait que la vie d’Henry Russell était tellement époustouflante qu’on pouvait bien en rajouter un peu. Mais ce que j’ai trouvé vient remplir les « blancs » qui existaient. Et sa vie se suffit à elle-même, je vous assure.
Henry Russell est essentiellement connu comme le père d’un certain art de vivre les Pyrénées, assez romantique.
C’est un grand pyrénéiste, en effet, un auteur au style très personnel, mais aussi un grand violoncelliste, un grand voyageur... Même Jules Verne s’en inspire et le cite dans « Michel Strogoff » ! Au-delà du parfait personnage de roman, j’ai voulu faire connaître l’homme à partir de faits historiquement fondés. Tout en écrivant à la façon d’un roman, j’ai donc voulu mettre les points sur les « i ».
N’est-ce pas une façon également, ce livre, d’enfin le faire connaître au grand public ? Parce qu’au-delà d’un cercle de férus de montagne, Russell reste méconnu, non ?
Je suis étonnée qu’il ne soit pas plus connu. Russell, c’est l’équivalent pour la montagne d’un Pierre Loti - pourtant beaucoup plus connu - pour la mer. Ou d’un Antoine Dabadie qui a bâti le château Dabadia en Pays basque, qui lui aussi resté assez méconnu... Mais je rencontre régulièrement de grands connaisseurs du personnage qui ont souvent fait beaucoup de montagne et lu « Souvenirs d’un montagnard » qui vient d’être joliment réédité, chez Monhélios. Pourtant, lire Russell demeure très intéressant.
Vous considérez que l’auteur de « Souvenirs d’un montagnard » ou de « 16 000 lieues à travers l’Asie et l’Occitanie » conserve une certaine modernité ?
Tout à fait. Il ne supportait pas, par exemple, que l’on puisse abandonner ses papiers gras et autres déchets en montagne. C’était un écologiste avant l’heure. Il avait aussi une réelle vision du monde, pour avoir pratiquement fait le tour du monde très jeune. Il a dénoncé le traitement infligé aux Indiens d’Amérique ou aux populations noires encore soumises à l’esclavage. Il y avait du Tocqueville en lui.
Mais il restait de son temps. C’était un personnage à la fois complexe et clair sur ses trajectoires. Ce n’était pas un Kérouac, mais il avait sillonné le monde, et ses analyses géopolitiques sur la Chine ou la Russie étaient très clairvoyantes.
Pau ne garde pourtant guère de traces de son passage.
Une rue de Trespoey, une plaque quasiment effacée au 14 rue Marca où il habitait, une place au cimetière... Rien de grandiose.
Ce serait bien de faire une statue, sans doute... Henry Russell fait partie des personnalités qui ont marqué la région. Il tranchait sur les poncifs de l’époque. C’était un jeune aristocrate attachant, distingué, courtois. Il appréciait le monde, faisait partie du cercle anglais, tout en étant une vraie force de la nature - comme sa mère - qui faisait, en moyenne, 10 km à pied par jour pour garder la forme.
Dans l’époque verrouillée du XIXe siècle, il passait pour un original. Pensez donc, au Vignemale où il avait fait percer ses grottes, c’est avec du bordeaux Pape-Clément et du champagne qu’il recevait ses hôtes. Le côté aristocrate fait peut-être qu’il n’est plus « tendance »... Cela dit, le centenaire sera cette année l’occasion, à Argeles-Gazost, Lourdes, Gavarnie et Pau, de conférences, expositions, etc.
Vous avez le sentiment que son côté aristocrate fait qu’on n’a pas cherché à le mettre en avant ?
C’était un aristocrate, oui. Il ne travaillait pas, comme ça se faisait à l’époque, et il s’en excusait presque, parfois. Mais surtout, sa vision de la montagne est très datée « XIXe siècle », c’est-à-dire romantique.
Il était très critique envers ceux qu’il appelait « les acrobates » ou les « touristes » qui commençaient à arriver en masse. Pour lui, en montagne, il fallait prendre le temps de sentir, d’écouter, de voir, d’apprécier longuement le paysage... C’était une philosophie. Un autre monde, quoi.
À la fin de sa vie, il avait l’image du patriarche, mais n’était plus de « mode ». Le pyrénéisme, en tant qu’art de vivre la montagne, en tant que philosophie, n’était plus d’actualité. En revanche, vous pouvez prendre « Souvenirs d’un montagnard » et monter, rien n’a changé. Hormis les grottes. Il ne reste que des trous dans la falaise. Tout ce qu’il avait fait maçonner a disparu.
Mis en ligne le mardi 14 avril 2009.