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TROIS LÉGENDES

Pyrénéisme et pyrénéistes de passion !

1986, mes premiers pas en montagne lors d’une cure dans la belle ville de Cauterets. 1988, presque la cinquantaine et je deviens membre du CAF d’Agen ; c’est encore l’aventure, mettant mes pas dans ceux des anciens pour de longues randonnées, harassantes et joyeuses. Suivant leurs traces, glissant dans la poudreuse où, en équilibre instable dans des pentes verglacées, je découvrais l’ivresse de la liberté à skis de randonnée. C’est dans les grandes faces comme la Sud-Est à l’Ossau, que je posais mon regard sur un nouveau monde, presque aussi silencieux et majestueux que les grandes cathédrales !
La montagne s’ouvrait à moi, à ma curiosité, devenant soudain ma passion première avec sa diversité, ses profondes vallées, ses pics à perte de vue surgissant sur la toile d’un horizon infini ! Après la solitude dans le cockpit du monoplace, la chute libre en parachute, la fuite au gré du vent dans un 470, la maîtrise malaisée d’un cheval ou l’inconfort d’une selle de vélo durant de longues distances, c’était soudain les rencontres au détour d’un sentier, les discussions sans fin sur le pas de porte d’un refuge où autour d’une table, c’étaient les bivouacs avec des millions d’étoiles que les lumières de la ville cachaient aux citadins, c’était aussi les nuits d’orage, de tempête avec la pluie, le vent qui s’époumonait, repartant de plus belle à l’assaut des tentes, si fragiles mais qui résistaient vaillamment à sa fureur ! Et encore, les nuits hivernales avec arrivée au refuge avant que ne se lève l’aube ! C’était enfin, l’entraide entre tous !
Mais ce milieu aux beautés innombrables, peuplé d’animaux divers, d’oiseaux et offrant parfois d’immenses parterres de fleurs tel le jardin d’Éden, ne serait rien sans la compagne ou le compagnon partageant nos joies comme nos peines et nos souffrances !
Dès le début de mes pérégrinations, une vieille libraire paraissant avoir vécu au XIXe siècle, me conseilla un livre qui allait changer ma vision des Pyrénées ! Effectivement, Henry Russell déambulant tout au long de ses Souvenirs d’un Montagnard, m’incita à le suivre et à découvrir tous les lieux mythiques de la chaîne. Mes nombreuses nuits sur le sol caillouteux de la Brèche de Roland, au sommet de la Pique longue, de l’Ossau ou du Cerbillonna, furent autant de nuits hantées par sa présence.
Durant plus de trente années, ce livre fut pour moi, comme pour beaucoup d’entre nous, notre Bible pyrénéenne.

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Kev Reynolds

Il y a 34 ans ! Silvio Trévisan et Pierre Merle évoquaient les grands anciens lors de nos réunions hebdomadaires chez Roger Auban notre futur centenaire ; et déjà une figure emblématique faisait parler d’elle ; son nom anglo-saxon m’interpellait, le personnage paraissait sortir d’un roman que seuls les initiés connaissaient et lisaient ; en hiver dans des refuges perdus dans l’immensité des champs de neige et devant la cheminée ou en été lors de silencieux bivouacs, les plus âgés nous parlaient de ce voyageur du monde qui hantait les hautes montagnes de la chaîne himalayenne, découvrant et faisant découvrir la majesté des Alpes, mais revenant toujours comme Russell à ses premières amours, les Pyrénées ! Chemineaut des montagnes, dandy comme Russell ou celui qui apporte la bonne parole ? Ces adjectifs ne pouvaient que faire rêver le gamin ( de 50 ans quand-même !) que j’étais dans ma tête, le corps suivant alors encore l’esprit ! Sa silhouette à nulle autre pareille ainsi que sa démarche, son aura, ne pouvaient qu’interpeller et accentuer le mystère l’entourant. Combien de décennies avant d’en percer une part ! Comme nombre de ses compatriotes aventuriers avant lui, Kev Reynolds apprivoisait les montagnes et les hommes ; au fil des ans, sa renommé ne fit que croître et ses livres furent très appréciés par le milieu montagnard et tout autant par ceux qui aimaient voyager tout en se prélassant sur le sable chaud d’une plage. La langue anglaise de ses écrits étant parfois une barrière autrement difficile que nos sauvages Pyrénées. Bien des décennies plus tard, grâce à une superbe traduction du livre Marcher dans les nuages, par ma très chère amie Françoise Besson, je puis découvrir l’homme, le personnage, son humour très britannique, sa sensibilité, son érudition, son art de l’écriture et de la poésie, son amour de l’autre ! À un âge où beaucoup tentent le vélo d’appartement ou dégustent une glace devant la télévision, il parcourt encore la montagne et écrit ses textes. Ses livres, ses histoires, sont des chefs d’œuvres d’humour et de poésies ! Que ne l’ai-je connu plus tôt et physiquement !

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Andy Knowler

Il y a 31ans ! 1991, un soir d’amicale rencontre chez un membre du CAF d’Agen, douce soirée et nuit de printemps autour de plats de crêpes et de boissons peu alcoolisées. De quoi parle-t-on chez des passionnés de grimpe et de randonnées en montagne ? D’amitié indéfectible bien sûr ; c’est ce que fut le lien qui nous unit jusqu’à ce début d’année. Sacré personnage aussi ! Gallois de naissance était mon ami Andy Knowler et premier de cordée « Celui qui allait devant » comme l’écrivit un jour Max Liotier en titre de son livre sur la traversée de la Meije et en lui dédicaçant son ouvrage : et mon compagnon l’accomplit, cette fameuse traversée, tout comme l’ascension du Cervin en solitaire ou le Mont Blanc, la Kuffner au Mont Maudit, les arêtes de Rochefort et à plusieurs reprises, la face Nord du Vignemale ! Le suivant comme Sancho Panza suivait Don Quijote, avec parfois d’autres compagnons nous gravîmes les couloirs Swan, Clot de la Hount, Ledormeur, découvrant également le couloir de la Moskova et Lady Lister nous accueillant au col qui porte son nom. Durant des décennies et en toutes saisons, le glacier d’Ossoue nous offrit son manteau immaculé ou ses crevasses béantes dont les parois bleutées tentaient de nous attirer dans des profondeurs insondables ! Depuis, c’est l’insondable inconscience des hommes qui fait que cette extraordinaire masse de glace est vouée à disparaître dans quelques années, ne laissant que des regrets à ceux qui ne pourront jamais chausser les crampons au petit matin pour atteindre la mythique Pique longue !
L’ami emmena son vieux compagnon sur toutes les arêtes des massifs de l’Aneto et de la Maladeta, sur tant d’autres encore et presque tous les 3000 de la chaîne, jamais une ombre au tableau, jamais une dispute, l’un était le père spirituel, l’autre le fils ! Mais comme tous ces géants de rocs à l’épreuve du temps, l’ami eut sa période de doute, érosion de sa passion et de son envie d’aller toujours plus haut, plus loin ! Les incertitudes de l’existence faisant leur travail de sape dans le corps et l’âme ! Ce furent des années très difficiles ; les montées lui parurent plus abruptes, la lassitude accompagnait chacun de ses pas, qui ne le menèrent parfois, qu’à la base des monts ! Celui qui allait devant, n’était plus que l’ombre de lui-même ! Mais chez cet homme, cela ne pouvait, ne devait pas durer ; et comme le Phénix, l’oiseau de feu, Andy reprît goût à la vie, à l’effort, à la joie de fouler à nouveau les sommets, il était sauvé et par-là même, notre duo !
Le gallois légendaire trouvait que la France était le kaléidoscope de tous les pays du monde, la langue française, la plus belle par sa douceur, la cuisine du terroir apte à lui faire gravir sans effort les pics les plus abrupts ; quant à sa famille, elle était ce qui lui permettait de voir la vie en rose ! Le hasard et notre amour commun de la solitude et des Pyrénées, ne pouvaient que nous réunir !

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Alberto Martinez Embid

Il y a 22 ans ! Déjà les chemins de Compostelle m’interpellaient et dans la belle Espagne, l’Aragon se démarquait des autres provinces. Un de ses fils, par la grâce d’un talent inné de conteur et d’écrivain, mettait tout en œuvre pour faire découvrir son pays au travers de légendes ayant traversé les siècles ; histoires d’hommes et de femmes partis à la conquête des plus hauts sommets de la chaîne, de ses vallées profondes, parfois de ses glaciers prêts à engloutir les plus téméraires.
En de magnifiques livres à l ‘extraordinaire documentation, sa plume n’omettait aucun détails de la vie d’autrefois et de l’engagement des premiers pionniers sur les flans des monstres endormis ; les grandes figures d’un monde maintenant disparu, nous amenaient à leur suite, rendre visite au Vignemale, à la Maladeta, au Mont Perdu, à l’Aneto, à la brèche de Roland et tant d’autres lieux et monts où la solitude est un viatique pour communiquer avec les êtres chers disparus !
Alberto Martinez Embid, être d’exception et ami exceptionnel, était avant-tout, la voix et la mémoire des Pyrénées, gardant en son âme le souvenir des grands anciens d’hier et d’aujourd’hui, avec dans le cœur, une place immense afin de caser ceux qui lui sont chers !
Les rencontres avec un tel personnage étaient à son image, chaleureuses, amicales, animées, et en le quittant, nous n’avions qu’un désir, franchir à nouveau les Pyrénées pour rejoindre ne fût-ce que quelques heures, quelques instants, un homme, un ami déjà légende de son vivant ! Pour lui, la charge n’était pas trop lourde à porter, sa modestie naturelle faisant que les qualités, il les attribuait aux autres. Ses mails, ses lettres, ses dédicaces sont autant de témoignages d’une Amitié que le hasard se fit une joie de développer entre amis proches, faisant un clin d’œil à cette « institution » comme il l’avait nommé en lui donnant le nom un peu ambigu de « French connection » Humour à l’Aragonaise ? Peut-être, mais avec de tels personnages, le monde ne peut qu’aller de l’avant !
Malgré ses occupations, un mail envoyé avait rapidement une réponse en retour, une explication, un conseil et à la période propice une invitation ! Que de petits repas animés, une balade par-ci, une autre par-là où sur les flancs de ce pic voisin qui lui tenait tant à cœur ; la Foratata que nous devions à nouveau ascensionner et dont il devait nous conter l’histoire. Toujours joyeux, sourire aux lèvres, la main tendue, nos demandes, nos questions trouvaient toujours une réponse, par un livre, un lien où un courrier postal ; des dédicaces aussi qui sont autant de témoignages quant au plaisir de poèmes reçus, célébrant son œuvre d’écrivain de montagne ; au Panthéon de ceux-ci, il est en première place, et ses livres seront autant de témoins d’un passé révolu.
 ! Mais que belle était la montagne dans le reflet de son regard !

Mardi 9 novembre 2021, Alberto Martinez Embid ; 59 ans.
Vendredi 10 décembre 2021, Kev Reynolds, 76 ans.
Vendredi 7 janvier 2022, Andy Knowler, 63 ans.

Dans le brouhaha et les prémices de velléités guerrières, trois grands témoins de l’histoire pyrénéenne ont presque en même temps quitté ce monde et ces montagnes qu’ils aimaient tant !
Dans le ruissellement et la disparition inexorable de leurs glaciers moribonds, les cathédrales de la terre pleurent ces hommes qui ont peut-être éveillé les consciences sur la fragilité de ces rocs et neiges éternelles.
Puissent-ils être entendus par les futures générations !

Michel Chambert






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